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Article revue Le Courrier des Galeries

A travers la peinture du corps, Dominique Ehrhard essaye de saisir le corps de la peinture. Il effectue sa recherche avec beaucoup de tendresse et, en même temps, un certain désarroi face à un objet qui se dérobe à l'analyse.

Comment saisir les mouvements du corps ? Le corps a toujours fasciné Dominique Ehrhard parce que c'est la dimension la plus importante de l'humain. Comment habite-t-on notre corps ? Comment l'occupe-t-on ? Interrogations sans fin sur le corps immobile, qui dort, qui se meurt, qui sommeille, qui bouge et qui est en situation...

Gestes qui se complètent pour former un seul corps... Comment se situe-t-on par rapport à son corps ? Sujet redoutable déjà abordé par les grands peintres. Dominique Ehrhard a travaillé également sur des lieux traversés par des corps... Corps qui ont laissé des traces...

Ces traces deviennent les éléments d'un discours mis en évidence par Dominique : lieux, espaces, fragmentations, objets abandonnés, signes, figures, regards, postures, gestes... Plusieurs éléments d'une grammaire qui provoque autant le désir que l'étude objective. Trajectoires multiples expliquant la fragmentation du corps.

Comment une image peut-elle avoir encore de l'impact sinon par l'interrogation qu'elle peut porter sur elle-même ? Qu'est-ce qui fait sens dans le coup de pinceau lui-même sinon l'importance de la trace ? La dispersion du corps appelle à une concentration de la peinture.

La juxtaposition des divers corps aboutit à l'unité de l'image... Chacun d'entre nous est faux par rapport à son corps et par rapport à la peinture. La vérité d'un corps n'est pas en lui-même. Elle est dans la juxtaposition de tous les corps. En somme, la véritable image est dans l'ensemble des éléments particuliers.

Plus Dominique Ehrhard travaille sur le corps, plus on a l'impression qu'il est abandonné par le sens. Il entre dans l'univers douloureux d'Auschwitz avec la volonté de lire, dans l'accumulation de l'horreur, la scénographie terrifiante des corps abandonnés par le sens et par l'histoire.

D'où la difficulté de peindre. La succession de l'indifférenciation des corps fait référence à l'expérience des camps de concentration où le corps a été réduit à néant. Sentiment trouble et ambigu par rapport à l'image, au corps et donc à la peinture.

Dominique Ehrhard peint dans l'urgence du dire et c'est pourquoi il lie le destin de la toile à celui du corps humain. Notre bien le plus précieux, le corps, est périssable ! Le corps est-il à ce point différent de l'esprit qui semble symboliser le souffle de l'éternité, de l'inaltérable ? Combien de temps le corps appartient-il à l'esprit ?

Le corps de l'homme est bel et bien un noble tissu métaphysique sur lequel se gravent en lettres brûlantes les échecs et les espoirs, les amours et les haines, les rêves et les déceptions, l'éternité, la vie et la mort... Blessures symboliques qui deviennent objets et matières de peinture. Le corps de la peinture et le corps de l'homme se confondent.

La peinture devient squelette lorsqu'elle peint un cadavre et chorégraphie lorsqu'elle peint un danseur. Elle meurt avec les morts et ressuscite avec les vivants ! Elle se fait et se défait selon l'état de composition ou de décomposition de l'objet de son étude. Elle s'agglomère et s'agglutine pour devenir une forme puis se disperse et disparaît dans le creux de la terre.

Mustapha CHELBI
LE COURRIER DES GALERIES n°44
Février 1992

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