"Vedute" - préface catalogue exposition galerie L’Appartement
Perspective optique, vérité des paysages dessinés, peints ou gravés d'un "point de vue " (veduta), comme les vues de Venise de Guardi et Canaletto pour ne citer que les plus universellement connus des védutistes du dix-huitième siècle, tout ce qui caractérise la veduta semble étranger à la peinture de Dominique Ehrhard. Les tableaux ne sont pas structurés par les lois rigides de la perspective conique mais bien par d'autres règles qu'il nous faut apprendre à décrypter.
Les paysages que Dominique Ehrhard nous donne à voir, ne sont pas ces photographies à la précision topographique prises d'un point élevé, embrassant l'ensemble de la vision panoramique. Laissons à la photographie ce rôle de point de vue extérieur pour explorer le point de vue intérieur.
A la perspective naturelle, l'artiste substitue la perspective ésotérique, révèle ce qui est caché, met en vision, en perspective, les traditions de diverses provenances : l'Ouroboros des grecs, le niveau d'Hiram l'égyptien, la Jérusalem céleste des douze tribus d'Israël, les sourates coraniques, le tarot des maîtres du moyen Age.
Il ne s'agit plus de paysages (sol, constructions et végétation, ciel), dans lesquels se meuvent, in situ, des personnages plus ou moins allégoriques, mais une espèce de sol verticalisé, d'une teinte générale de terre de Sienne brûlée, habité par des reproductions de symboles gravés sur bois comme le faisaient les artistes depuis Gutemberg jusqu'à Dürer. Ces signes peints à la ressemblance des planches des premiers livres ont été choisis pour leur planéité, pour leur préexistence aux règles de la perspective de la Renaissance.
Il s'agit de préserver la cohérence, la parfaite indépendance par rapport à un point de vue optique. Seule la perspective intérieure subsiste. Des figures humaines se meuvent dans cet espace recomposé. Elles sont singulièrement toutes de même taille, une peau lumineuse (seules lumières des tableaux), l'ombre des chairs est de la couleur du sol qui s'accroche à ces figures comme pour s'en emparer. Tout est mis en oeuvre pour que le " point de vue " soit bouleversé, et les valeurs renversées : l'être humain prend le pas sur le paysage.
Les personnages allégoriques della veduta realistica sont devenus les éléments principaux et leur danse autour des symboles rythme l'oeuvre.
Marc Anckaert.
In catalogue "Vedute" -2001 - galerie L’Appartement – Orléans