"Encyclopédies" - revue Le Journal de la Grande Loge de France
Le travail de Dominique Ehrhard se trouve à l'intersection du figuratif de l'abstrait. De l'un, le peintre utilise la visibilité immédiate pour dire les choses essentielles comme le corps, le visage, la lettre d'imprimerie ou l'architecture. De l'autre, il emploie ligne et couleur amenant le sens à se dire si le spectateur veut bien entreprendre une lecture personnelle.
Ses toiles sont comme des planches encyclopédiques, elles semblent donner l'impression de sens mais n'ont pas d'histoire. Impossible de trouver la moindre narrativité ou la moindre linéarité. Chaque élément composant les signes de la toile a son importance. Une lecture approfondie montre que le corps, constante unique dans toutes les œuvres, n'est jamais dans une position stable; il est suspendu entre deux instants. Instants jamais finis, jamais commencés. La lettre typographique, seule ou assemblée en phrase, semble vouloir "nous dire", mais elle n'est située sur la surface que pour initier un nouveau parcours. Où est le vrai? Où est le sens? Cela n'a pas d'importance, ce qui compte c'est de voir la lettre. Le dessin d'architecture veut nous faire croire qu'il existe un lieu pour une histoire. Mais un autre élément perturbe ce que nous commencions à prendre pour un récit.
Bien d'autres signes sont là, plus pour briser ce que notre regard semble voir que signifier un ensemble cohérent. Tous ces espaces au sein de la toile ne sont pas, non plus, distribués pour former un labyrinthe. Celui-ci existe uniquement dans l'imagination du spectateur.
En refusant de donner la moindre formalisation et la moindre signification à ses toiles, l'artiste ouvre le champ à l'altérité qui n'a aucun lien avec une essence supérieure ou divine. Dominique Ehrhard se présente comme matérialiste qui aspire à ordonner un monde où il y a chaos.
Le spectateur quittant la toile, se trouve dans la situation du voyageur: il prend mouvement. Il va ailleurs, certes, mais pas avec le même sentiment de sa propre corporéité; il a tout simplement changé. L'art a fait son œuvre.
Marc Pagnier
in Le Journal de la Grande Loge de France - janvier 2001