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"Atelier" - préface catalogue exposition galerie A.M.C

Le problème restait de faire une peinture nécessaire.
Il fallait se lever tôt. Profiter de toute la lumière. L'atelier était dans un désordre qu'il affectionnait, créant un espace à sa dimension. Les différentes toiles préparées la veille s'alignaient contre le mur, toutes identiques, maculées de tâches informes.
D'abord regarder, longuement, évaluer toutes les possibilités pour n'en retenir qu'une... Bien sûr, l'idéal serait, pensait-il, non pas une série tentant en vain d'étreindre le champ des possibles, mais par d'infimes glissements de sens et de forme refaire constamment le même tableau.
Il fallait commencer à peindre, indiquer d'un trait noir et épais les motifs, remplir ces contours en altérant légèrement les coloris jusqu'à cacher complètement le dessin, puis, recommencer le processus. Va-et-vient incessant entre la clarté et le chaos, chaque nouvelle étape déviant l'idée primitive jusqu'à ce qu'il ne reste plus, ou du moins l'espérait-il, que la peinture.
Il passait fréquemment d'une toile à une autre, rajoutant quelques touches, recouvrant partiellement des parties déjà bien avancées, chaque couche laissant apparaître les strates précédentes comme si toutes les étapes de la création devaient être révélées.
Il aurait aimé que chaque touche engendre elle-même ses différents développements, ne servant qu'à indiquer celles qui auraient pu le remplacer.
L'œuvre unique ennuyait. Il lui fallait la multiplier, l'agrandir, la disséquer, chercher son point de rupture, la dilution de son sens. Il aime ainsi changer de style, de format, de technique, moins par refus d'une étiquette que par incapacité à s'identifier une image réductrice. La fidélité à un thème gardait un semblant de cohérence avant que tout ne s'éparpille en autant d'atomes différents de sa personnalité.
Revêtu de la bouche du scientifique, l'artiste pouvait alors soumettre le tableau aux tensions physiques et formelles les plus extrêmes, éprouver sa résistance à l'aléatoire, à l'insignifiant, modifier certains paramètres, expérimenter des formules nouvelles, mesurer leurs limites, répéter une forme pour vérifier le bien-fondé de ses intuitions, chercher une loi générale applicable à d'autres sujets, d'autres méthodes.
Chaque toile était une aventure différente, difficile, dont la signification ne se dégagerait que progressivement.
La fin de la journée approchait. Certaines toiles étaient déjà bien avancées, d'autres moins, il fallait les laisser reposer afin d'y voir plus clair.
Dans quelques semaines il saurait qu'elles étaient terminées, car au fur et à mesure que le travail avançait, il les laissait devenir autonomes et décider elles-mêmes de leur achèvement.

Dominique Ehrhard

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