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"Artiste protéiforme" - revue Les Amis des Musées d'Orléans

Nous nous attendions à rencontrer un réalisateur de jeux et auteur de livres pour enfants (coloriages, pop up…). Grosse erreur ! Après quelques minutes d’entretien, nous sommes en face de plusieurs interlocuteurs réunis en une seule personne. Il est comme çà, Dominique Ehrhard, multiple et pourtant cohérent. Il n’est pas besoin de le pousser beaucoup pour qu’il se livre, tant son œuvre est imprégnée de sa vie.

Relation (forcément incomplète devant l’ampleur du personnage) d’un échange déroutant, passionnant, instructif et complètement décontracté.

UNE VOCATION PRECOCE

S’il n’est pas vraiment «  de la balle », Dominique Ehrhard, né en 1958 au bord du Rhin, a grandi dans une famille où l’on cultive le goût de l’art en général et celui de la construction en particulier (son père est entrepreneur en bâtiment). C’est donc tout naturellement qu’il commence des études d’architecture à Strasbourg et poursuit sa formation à l'Institut d'Arts Plastiques, de 1976 à 1981.

Sa vocation démarre très tôt alors qu’enfant unique et quelque peu solitaire, il passe beaucoup de temps à dessiner. Et ça marche, tant auprès de sa famille que des copains de l’école ! Repéré par un professeur qui l’incite à suivre des cours du soir en arts plastiques, il progresse rapidement avec le soutien indéfectible de ses parents et finit par proposer ses premières bandes-dessinées à un journal local (il a une quinzaine d’années), ce qui lui vaut un début de notoriété. Vers le milieu des années 70, à une époque où tout est possible avec l’apparition de la contre-culture venue des Etats-Unis, Dominique Ehrhard fréquente à Paris les milieux alternatifs et évolue vers le cinéma d’animation tendance avant-garde (cf. Topor, Arrabal, Jodorowski…). Une période féconde tant il cherche de nouvelles voies artistiques.
Sa réussite à l’agrégation l’oriente vers l’enseignement et il rejoint le Maroc comme professeur en arts plastiques à Meknès, de 1981 à 1983.

De retour en France, il participe à Nancy aux activités du groupe CLAC (Centre Lorrain d'Art Contemporain) et commence à exposer régulièrement tout en concevant plusieurs scénographies pour l’Ensemble Artistique d’Alsace telles "Noce chez les Petits Bourgeois" ou encore "Britannicus".
En 1986 il rejoint un autre fleuve et s'installe à Orléans où commence une période d'intense activité artistique qui englobe des expositions, la création de jeux et l'illustration de livres.


UNE PEINTURE EXIGEANTE

« Chaque toile était une aventure différente, difficile, dont la signification ne se dégagerait que progressivement. »
(Dominique Ehrhard in catalogue "Peintures" galerie A.M.C Centre d'Action Culturelle de Mulhouse et de Haute Alsace 1987)

A la découverte de son parcours, il n’est rien d’étonnant à entendre Dominique Ehrhard se définir comme « un producteur d’images par vocation » et de préciser : « Le fil directeur, c’est la peinture et le dessin. Je peins sans dessin préalable. Le dessin apparaît surtout dans mes livres ».
Cette peinture « nécessaire (…), qui ne doit pas être futile, ni gratuite et qui ne doit pas être une simple production», il en dit aussi toute l’exigence, comparée à ses autres activités : «… Quand j’ai un moment, je pense au jeu mais c’est une activité agréable, c’est du plaisir. La peinture, c’est plus la douleur, la difficulté. L’illustration est un travail plus technique, plus laborieux. »

La découverte précoce des grands peintres de la Renaissance associée à une démarche « narrative » l’amènent à produire des toiles imprégnées de symbolisme, empruntant aux motifs des œuvres de cette époque, pour inviter le spectateur à percevoir les « non-dits » par un effort d’analyse. Mais tout cela est un jeu formel (où l’on rencontre le créateur ludique) de reconstruction (où l’on retrouve l’architecte)… Pour Dominique Ehrhard, il s’agit avant tout « d’éléments qui viennent d’ailleurs et sont régurgités sous une autre forme », participant d’un processus visant à « mettre de l’ordre dans mon rapport chaotique à la perception du monde ». L’atypisme de sa peinture la rend difficile d’accès auprès des galeristes (pas assez dans l’air du temps…) et du public, même si elle est généralement appréciée des peintres. Si le caractère très symbolique de son œuvre picturale lui vaut un certain succès auprès des francs-maçons, il se présente pourtant comme un formaliste au style très construit.

LES JEUX, LES LIVRES, L’ENSEIGNEMENT

« Je pense à quelque chose et cela va s’exprimer dans la peinture, le jeu ou l’illustration. Je ne fais aucune différence entre ces médias. Si j’avais le temps, je ferais du cinéma. Il n’y a pas de choix, c’est une évidence. » (Dominique Ehrahrd in http://ll4ll.net/ludique/2008/03/21/entretien-avec-dominique-ehrhard/)

Eu égard à la multiplicité de ses talents, Dominique Ehrhard dispose de plusieurs vecteurs pour livrer au public ses impressions, ses rêves, ses émotions et tout ce qui alimente en permanence sa soif d’appréhender le monde et son « chaos ». Alors il devient tour à tour peintre, créateur de jeux, auteur de livres, enseignant. Mais toujours bâtisseur. C’est pour lui un choix de vie, « une manière de correspondre au fantasme de l’artiste total.»

Ses jeux ont remportés un énorme succès et l’on compte quelques 70 créations à son actif ! Ses plus grands succès, outre Le Fantôme des MacGregor (350 000 ex.), sont Marrakech (80 000 ex.), Règlements de compte, Méditerranée réédité par Ystari sous le nom Sérenissima (25 000 ex.) et Condottiere. 
Toujours cohérent dans sa diversité, Dominique Ehrhard inscrit ses créations ludiques dans une approche résolument artistique : « Je pense être spécialiste de jeux qui soient de l’ordre de l’élégance et d’une esthétique de la procédure ». Pour les amateurs, il livre quelques indications quant à ses jeux préférés : « Les jeux dont je suis le plus fier du point de vue de l’originalité sont Condottiere et Méditerranée. En termes de plaisir, je pense également à Condottiere. Du coup, si on ne doit en sortir qu’un, c’est Condottiere. »

Et d’insister encore sur l’impact total de sa vie sur son œuvre : « Pour moi, la création n’est pas un passe-temps, ni un métier, je déteste ce terme… Michel Lalet disait toujours ‘ Dominique a un sale défaut… c’est la création ! Il ne peut pas s’empêcher de gamberger, de faire des trucs ‘. La création dans son ensemble est une façon de vivre, un mode de vie. Je ne peux l’exprimer autrement. »
Sans s’étendre sur le versant éducatif de son activité, une part qu'il estime comme un prolongement naturel et évident de sa pratique artistique, il précise essayer de préserver la liberté de ses élèves dans ses cours d'arts plastiques ou ceux consacrés au Patrimoine et à l’histoire de l’architecture – toujours la construction ! –, au lycée Charles Péguy à Orléans.

Toutes ces activités sont chronophages, elles se succèdent par périodes et il consacre actuellement l'essentiel de son temps à la création de nouveaux livres, des livres pop up comme Paris Pop Up sorti cet été chez «Les grandes personnes », des livres permettant de créer des univers en papier découpé et plié chez Mango qui a créé une collection spécifique à l'occasion, ou encore Kirigami, petit théâtre japonais un livre-objet sur le Japon publié par Picquier cet automne. Tout en poursuivant les livres de coloriages thématiques (provinces, histoire – 1,5 millions d’exemplaires vendus) chez Ouest-France, il prépare plusieurs autres ouvrages, livres jeux, pop-up, consacrés à l'architecture et au design.

Bertrand Perrier, in Les Amis des Musées d'Orléans, décembre 2015

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